Article paru dans l’Info lettre des Passeurs de Savoirs – avril 2025: Guérir nos liens au vivant

“Nous sommes tous des êtres hors-sol, nous ressentant souvent comme illégitimes à œuvrer pour la terre, à nous vivre comme des êtres de nature, des humains ancrés dans notre territoire, dans notre environnement, au creux de notre paysage, au sein de notre propre terre. ” Marianne Grasselli Meier
Depuis 25 ans que j’œuvre pour ce rapprochement progressif avec notre nature, je constate que j’ai dû moi-même dépasser certaines croyances de non-légitimité. Comme parler et écrire sur la nature, sans être de lignée paysanne. Ou ressentir la nature sans être issue d’une lignée chamanique. Ou œuvrer pour la nature sans être paysagiste ou horticultrice ou que sais-je… Bref, collée à un principe de compétences professionnelles ou de lignées ataviques. Qui suis-je pour m’autoproclamer thérapeute du lien à la terre ?
Certes, depuis ces années, des formations existent, mêlant psychologie, art et lien à la terre. Mais comme écothérapeute et pionnière dans ce domaine, cela sonnait vraiment exotique) Exotique ? Comme si notre lien à la nature était réservé aux peuples de la jungle, des plaines mongoles ou aux nomades du nord de l’Europe. Je caricature volontairement. Si je pouvais vous faire réagir ! Vous faire admettre avec bonheur et gratitude au cœur, que vous êtes liés intimement à votre paysage et que vous en êtes, a fortiori, un gardien ou une gardienne.
De quel paysage êtes-vous ?
Le paysage nous forme, comme la langue forme jusqu’à l’expression de notre visage. Le mien est fait de montagnes et de vallées. Je vis dans un tout petit pays dont la traversée exige pourtant des heures de trajet. Cette épopée n’est possible que grâce à de multiples tunnels que des hommes ont creusé au péril de leurs vies durant des décennies. Mon paysage n’est donc pas un espace de communication. Marcher dans mon pays prend du temps, demande de l’effort, exige de la persévérance et une bonne condition physique. Le ciel, la lune, ne se dévoile que si la crête de la montagne la plus proche, n’est pas trop élevée. Le soleil n’apparait que si la roche le permet. L’horizon est retenu, obstrué, partout où je pose mon regard. Les merveilleux lacs suisses sont rapidement bordés de rivages. Et que retenez-vous du caractère des autochtones de mon pays ? Une certaine retenue, un manque d’hospitalité peut-être, une lenteur légendaire.
« Dans notre inconscient collectif et à moins que nous ayons des aïeux de la noblesse, nous avons acquis la certitude que nous ne sommes pas les propriétaires des terres que nous habitons. Donc, a fortiori, que nous n’en sommes pas responsables. »
Prenez quelques instants pour observer votre propre paysage : c’est lui qui vous a éduqué à travers des générations. Vos ancêtres ont défié la rigueur de leurs hivers, la sécheresse de leurs sols. Ils ont cherché de l’aide plus loin, plus haut, plus bas. Comment ont-ils survécu ? Qu’ont-ils créé pour vivre mieux. Et même si vous résidez à présent en milieu urbain, je suis convaincue que ces racines-là perdurent en vous. Dans cet inconscient intergénérationnel, vous puisez encore vos ressources et – car rien n’est simple – cela peut même « remonter » en vous sous forme de réactivités particulières face aux évènements présents.
Dans notre inconscient collectif et à moins que nous ayons des aïeux de la noblesse, nous avons acquis la certitude que nous ne sommes pas les propriétaires des terres que nous habitons. Donc, a fortiori, que nous n’en sommes pas responsables. Partout dans le monde, ceux qui cultivent le sol, qui font « travail de la terre » ne sont pas ceux qui en reçoivent les bénéfices. Les paysans peinent à la tâche et sont peu reconnus. Ils sont trop souvent pieds et mains liés face à l’industrie, aux enjeux de l’économie mondiale. J’ouvre une parenthèse : la situation actuelle peut faire penser à un combat qui ressemble à celui de David contre Goliath, sauf que nous savons où viser. Notre pouvoir est celui du consommateur : déterminer nos choix au bout de la chaîne de distribution afin de faire bouger le système. Un système uniquement basé sur le profit. Un système qui s’effondre et ne montre que des soubresauts tragiques de fin de vie. Fin de ma parenthèse.
«Nous ne possédons pas la terre car la possession n’est qu’une construction économique, voire religieuse et patriarcale. Mais nous ressentons profondément que nous en sommes tous garants.»
Certes nous ne possédons pas la terre car la possession n’est qu’une construction économique, voire religieuse et patriarcale. Mais nous ressentons profondément que nous en sommes tous garants et c’est un changement d’importance. Notre engagement n’est plus seulement lié à notre terre de subsistance directe, mais il est devenu planétaire. Nous avons besoin d’être utiles tant pour les paysans de notre région que pour une terre lointaine d’Amazonie. Prenons acte de cette mondialisation du lien, de cette nouvelle reliance à notre terre-mère dans son ensemble, de cette nouvelle interconnectivité, de cette interdépendance non seulement apprise, mais ressentie : une véritable appartenance.
Quel est le rôle d’un.e écothérapeute ?
1. Nous replacer dans le cycle du vivant
Les injustices vous taraudent peut-être le ventre. Vous aimeriez bien agir, changer, transformer ce qui a besoin de l’être. L’impuissance vous guette même si vous bénéficiez du soutien de vos proches ou d’associations. Comme des mouches attirées par la lumière, vous vous épuisez à vouloir, à pouvoir, à devoir faire. Car urgence il y a.
Le cycle du vivant nous apprend une autre réalité. Tout ce qui existe, vit, vibre, suit un cycle perpétuel. Ces phases d’alternance sont à replacer dans notre quotidien et au sein même de nos actions militantes. Si le paysan oublie le temps de jachère utile à la régénération de ses sols, pour cause de productivité immédiate, la nature, elle, ne sait pas faire autrement pour perdurer.
«Tous les peuples encore en lien direct avec la nature ne se sentent pas frustrés de ne pas recevoir leur dû au moment même où ils formulent leurs désirs.»
Elle se développe avec un rythme variable qui tient compte de son environnement, de l’eau, du soleil, des nutriments reçus ou captés. Après avoir atteint sa maturité, elle se décharge de ce qu’elle a engrangé et nourrit ses « enfants », tout en laissant une part pour la semence à venir. Dans ce cycle ininterrompu, la nature se replie, se retire. Elle ne s’efforce plus « en vain » mais elle sait (si je peux employer ce mot) la nécessité du repos, la puissance de l’intériorité retrouvée.
Tous les peuples encore en lien direct avec la nature, totalement assujettis à elle pour leur subsistance, admettent ce cycle et le suive. Oui, ils l’admettent : c’est dire qu’ils ne se sentent pas frustrés de ne pas recevoir leur dû au moment même où ils formulent leurs désirs. Notre société consumériste et adolescente, n’a rien de mature, n’a rien de réfléchi, elle nous a éduqué à ne plus attendre, différer, sentir. Chacun s’épuise et épuise notre terre. L’écothérapeute remet du cycle et du vivant dans le quotidien. Il replace ce continuum.
2. Nous rendre notre appartenance à la Terre
L’écothérapeute cherche également quel lien chacun peut tisser avec sa terre. Quelle est-elle ? Ses qualités, ses ressources auxquelles il peut s’identifier ? Ce défi est d’autant plus grand pour les personnes en déplacement, même si – vous l’aurez compris – je nous place tous et toutes dans les « exilés » de la terre.
«Nos sens réclament les odeurs connues, la vision rassurante de notre paysage d’enfance, afin de nous sécuriser.»
La nostalgie des grands espaces, le silence au lieu du flux et reflux incessant des vagues, les cris et les bruits des voisins au lieu des chants traditionnels… Nos sens réclament les odeurs connues, la vision rassurante de notre paysage d’enfance, afin de nous sécuriser.
L’écothérapeute aura pour tâche de ramener de l’universel dans ce particulier. Enfants de la terre, nous saurons retrouver un arbre et ses racines pour nous ancrer avec sérénité, un plan d’eau pour nous baigner, nous rafraichir et lâcher nos tensions, ou nous nous retrouverons autour d’un feu pour nous rappeler notre force communautaire. Nous savons chanter et respirer ensemble, battre le tambour au son de notre mère à tous. La reliance retrouvée, l’appartenance ressentie, le cycle peut reprendre là où la vie s’était arrêtée. C’est le cas dans la venue de maladies, de troubles comme la dépression ou le burn out.
3. Reprendre sens
Nous avons négligé notre corps et comment celui-ci fait peau, littéralement, avec notre environnement. La séparation ontologique est tenace entre la matière et l’esprit ; la première perçue comme sombre, sale, maléfique, porteuse de troubles et le deuxième, porté aux nues, comme seule vérité à suivre. Le lien spirituel à la matière – l’immanence – a été nié car païen, subversif et incontrôlable. Nous avons cessé de regarder la terre pour ne nous laisser attirer que par le céleste et l’inaccessible. Notre société industrialisée nous a déconnecté du ressenti du corps pour le robotiser, lui interdire ses rythmes à des fins de productivité. Par cela même, nos sens ont été altérés ; toucher le sol avec des pieds nus peut être une expérience des plus dé-sécurisantes pour certains. La nature est devenue dangereusement étrangère.
Dans la formation de praticien.nes en Ecorituels® que j’ai fondée, nous n’utilisons aucune visualisation pour « créer de la connexion », aucune méditation pour « se mettre en phase », aucune transe pour « être en lien avec le subtil ». Nous n’employons que les sens : nous ouvrons nos propres antennes, nous humons, touchons, goûtons, ressentons et observons. C’est alors que la nature répond à notre approche. Bien souvent, cette simple reconnexion existentielle tire des larmes aux personnes accompagnées.
«Si nous nous laissons ressentir, si nous prenons le temps de la connexion au vivant (pierres, plantes, animaux, humains selon le terme amérindien « our relations »), nous saurons Être-de-notre-terre et comment la soutenir.»
Nous sommes de la nature. Notre corps est notre relais pour être avec elle. Et notre quête, notre besoin prend sens ; le mot rejoint la présence incarnée que nous sommes. L’écothérapeute ramène le vivant au sein du corps. Une étape supplémentaire est actée par le.la praticien.ne en Ecorituels® qui saura relier ce vécu au sacré, à plus grand que soi.
S’engager chacun.e à sa mesure
Nous sommes légitimes à œuvrer pour notre terre. Nos actions se déclinent en maintes formes, de la plus petite à la plus grande. Cultiver un peu de self-subsistance sur son balcon, choisir ses aliments, se soigner par les plantes, faire potager commun avec d’autres, militer et s’engager auprès d’associations d’entraide écologique, porter des préjudices sanitaires jusqu’aux plus hautes instances, s’attacher à des arbres… Votre bataille est de votre seul choix. Les cerfs du moyen-âge ont combattu leurs nobles pour s’alimenter. Les « sans-terre » sud-américains1 le font encore aujourd’hui. Nous sommes tous légitimes dans nos engagements, chacun.e à notre mesure.
Le mouvement écologique global n’a pas besoin de dogmes pour nous convertir. Si nous nous laissons ressentir, si nous prenons le temps de la connexion au vivant (pierres, plantes, animaux, humains selon le terme amérindien « our relations »), nous saurons Être-de-notre-terre et comment la soutenir. Chaque gardien ou gardienne de la terre agit de sa propre expression, avec ses propres compétences, ici ou ailleurs, toujours avec ELLE. Si je peux contribuer par mes ouvrages à offrir ces temps de reliance, c’est avec joie.
Pour aller plus loin, entre autres ouvrages :
Le Réveil des gardiennes de la terre, guide d’écothérapie Ed Courrier du Livre 2018
La nature guérisseuse, pratiques inspirantes d’écothérapie Ed Courrier du Livre 2021
L’oracle des Soins Racines Auto-édition Esprit de Femme 2023
1 Le Movimento dos Trabalhadores Rurais Sem Terra (MST, Mouvement des travailleurs ruraux sans terre) ou Mouvement des sans-terre est une organisation populaire brésilienne qui milite pour que les paysans brésiliens ne possédant pas de terre, disposent de terrains pour pouvoir cultiver. Depuis la création du mouvement en 1985, 1 722 militants ont été assassinés.